Bon, pour mettre une touche un peu positive à ce blog déjà entaché de toute la colère de Dieuu, je vais vous raconter une histoire, enfin plutôt vous critiquer une histoire.
Hier, j'ai été voir "Le labyrinthe de Pan", je m'attendais à voir "a fuckin' awesome movie dude !", mais j'ai vu bien mieux que ça !
Attention, il est par contre préférable d'avoir vu le film avant de lire cette critique (spoiler inside) !.
Pour Guillermo Del Toro, « L’horreur est le pendant parfait de la fable ». L'application de ce dogme trés personnel sur son premier long métrage : "L'echine du diable" (que je conseil vivement à tout le monde !) avait permis à Del Toro de réalisé un film mélangeant horreur gothique (dans le sens premier du terme), chronique
naturaliste et conte de fées, foisonnante thématiquement et d’une
puissance émotionnelle rare. Son film était une réussite car il s'approchait de la véritable nature des contes de fées ne tentant jamais de gommer la nature fondamentalement violente et
morbide ou l’approche frontale de la mortalité inhérentes au genre. Faisant suite aux deux monuments suivant et à l'expérience tant professionelle que personnelle gagnée sur ceux-ci (Blade II et Hellboy), "Le labyrinthe de Pan" se présentait donc sous les meilleures ospices avant même sa sortie en salle !
"Le labyrinthe de Pan" prend place dans le contexte des premières heures de
l’Espagne franquiste, période bien moins propice à l’espoir puisque le
mal du fascisme, triomphant, est désormais profondément enraciné dans
la société espagnole. On ne s’étonnera donc pas de voir Del Toro
pousser encore plus loin la noirceur d’ensemble du récit, le terme de
dark fantasy que le réalisateur utilise pour décrire son film se
trouvant alors totalement justifié, sachant que l’univers de Pan se place sous le signe de l’oppression permanente et des lendemains qui déchantent.
C’est dans ce contexte peu réjouissant que Del Toro inscrit son
histoire. Celle d’Ofelia (la jeune actricte Ivana Baquero est tout
bonnement epoustouflante), jeune fille orpheline de père partant vivre
avec sa mère enceinte chez le capitaine Vidal, un franquiste fanatique
bien décidé à exterminer les dernières poches de résistance
républicaine opérant dans la région. Peu de temps après son arrivée,
Ofelia rencontre un faune qui lui apprend qu’elle est la princesse d’un
royaume merveilleux et qu’elle devra subir trois épreuves afin de
pouvoir reprendre sa place légitime auprès de son vrai père le roi.
Ce
sont donc deux univers à priori distincts qui cohabitent au sein du
film : une réalité oppressive et déprimante et un monde merveilleux
(fantasmé ou pas ? Del Toro à l’intelligence de laisser le spectateur
tirer ses propres conclusions) potentiellement libérateur. Mais là où
un autre cinéaste se serait contenté d’une opposition/juxtaposition
basique, Del Toro entremêle ses deux univers jusqu’à les fondre en un
seul, que ce soit via le montage mettant les évènements des deux mondes
en relation, ou par l’entremise d’un jeu de renvoi permanent entre les
éléments narratifs et visuels du récit.
Le Pale Man (inspiré par le "Saturne dévorant ses enfants"
de Goya) est ainsi une représentation exacerbée de Vidal et du danger
qu’il représente pour Ofelia et son frère à naître, la table de son
antre sur laquelle se dresse un somptueux banquet est l’exact reflet de
celle que Vidal fait dresser pour ses convives, la quantité de
nourriture symbolisant pour sa part sa réserve personnelle dont cherche
à s’emparer les résistants. ; le crapaud parasitant l’arbre et le tuant
symbolise le bébé qui tue à petit feu la mère d’Ofelia…on pourrait
multiplier les exemples à l’envie tant Del Toro aboutit par ce biais à
une cohérence d’ensemble extraordinaire.
De facto, la réalité prend une
tournure fantastique (renforcée par les paramètres de représentation et
de mise en scène, notamment la violence frontale exacerbée) et le conte
se teinte d’un réalisme cru. Ainsi, les fées sont plus proches de
l’insecte que d’une quelconque Clochette et une fois encore, fidèle à
la conception qu’a le réalisateur, les enfants ne sont pas à l’abri au
sein du merveilleux, comme en témoignera la bouleversante scène finale.
Par là, Del Toro atteint une forme de sublimation ultime du conte,
poussant de manière radicale les paramètres du genre à leur paroxysme.
Qui dit conte de fée cinématographique dit importance du travail
visuel. Sur cet aspect, Del Toro livre ce qui est probablement son
travail le plus abouti à ce jour. Poursuivant ses recherches picturales
basées sur la peinture, il s’inspire ici des travaux de l’illustrateur
Arthur Rackham (célèbre justement pour ses travaux de contes de fées)
pour créer un des univers visuels les plus somptueux jamais vus dans le
genre. Teintes ambres et ocres, architecture torturée et créatures
aussi terrifiantes que belles, soulignées par une caméra fluide et un
découpage au cordeau, tout conspire à marquer durablement l’œil du
spectateur.
Enfin, Le Labyrinthe de Pan
est l’occasion pour Del Toro d’approfondir une fois de plus ses
thématiques, et de livrer à travers
le personnage de Vidal une des plus belles ordures cinématographiques
de tous les temps. Magnifiquement interprété par un Sergi Lopez
bluffant, Vidal se présente comme une sorte de méchant Del Torien
emblématique. Vidal est un être torturé par son obsession (ici, massacrer la
résistance pour favoriser le triomphe du franquisme) au point de
s’enfermer mécaniquement dans une quête qui le prive de son humanité.
On retrouve en cela la propension qu’à Del Toro à faire de l’humain
déshumanisé, et non de l’être physiquement monstrueux, le véritable
monstre de son récit.
Ce qui ne se traduit pas pour autant par du
manichéisme puisque le personnage fait montre de faiblesses de
caractère et connaît in fine un véritable moment d’humanité,
réussissant presque à émouvoir alors même qu’il vient de tuer Ofelia de
sang-froid.
Il y aurait encore tant à dire sur la richesse du film ou sur sa
puissance émotionnelle dévastatrice, mais la place me manque, et je
préfére laisser le mot de la fin à un homme bien plus habile avec les
mots que l’auteur de ces lignes :
« Dans un monde où les films sont largement devenus des opérations marketing gérées par des diplômés d’écoles de commerce, Le Labyrinthe de Pan
se tient tel une fleur rare et rayonnante ayant miraculeusement éclos
sur un tas de fumier. Il nous rappelle que « l’art pour l’art » est
toujours possible au cinéma, au milieu des franchises et des “produits”
évènements balancés à la pelle sur nos écrans à longueur d’année. Je
bénis Del Toro pour me l’avoir rappelé »
Frank Darabont.